A l’automne 2020, la Pologne a été secouée par un mouvement de masse contre la suppression du droit à avorter en cas de malformation du fœtus. Face à la résistance, les conservateurs ont pris le parti d’attendre que le mouvement s’essouffle. En janvier, deux mois et demi après la manifestation qui a rassemblé 100 000 personnes à Varsovie, la décision est finalement entrée en vigueur.
par Tiphaine Soyez, Rosa Polska
En quelques heures, et malgré le froid glacial, des manifestations se sont organisées dans les grandes villes. Mais elles n’ont pas été le commencement d’une nouvelle vague. Le phénomène de manifestations spontanées dans de petites villes de provinces et des quartiers ouvriers, constaté en automne, ne s’est pas reproduit.
L’état d’esprit n’est pas celui d’une défaite définitive. On ressent certes une certaine démoralisation chez une partie des activistes, mais la principale raison pour laquelle le mouvement n’a pas repris, c’est qu’il ne sait pas comment continuer.
Au lieu de galvaniser les troupes et de mobiliser, les dirigeantes du mouvement (OSK) achèvent de se détourner de la lutte.
Tout en scandant « nous ne tomberons pas dans la clandestinité », eles mettent en avant une organisation, Avortement Sans Frontière, qui peut vous procurer un avortement clandestin. Cette solution temporaire va sauver des vies. A ses débuts, la campagne Rosa en Irlande avait également procuré des moyens illégaux d’avorter, avec les « bus de l’avortement » et le « train de l’avortement ». Mais cela faisait partie d’une campagne acharnée dans les quartiers ouvriers pour lutter pour la légalisation de l’avortement. C’est par ce moyen que le referendum a pu être gagné en 2018.
Au contraire, les dirigeantes d’OSK proposent l’avortement clandestin comme une solution temporaire en attendant l’élection de cadidats pro-avortement. Elles se rapprochent des politiciens de carrière et de parlementaires en ignorant les aspirations de la base.
Un « projet citoyen » a été lancé – une pétition pour qu’un projet de loi légalisant l’avortement soit discuté au parlement. Cela a déjà été tenté par le passé, et le parlement a rejeté le texte sans même le lire. Là encore, pour faire adopter cette loi, il faudrait non seulement que la pétition recueille le nombre de voix nécessaires mais aussi qu’elle soit appuyée par une lutte qui mette une pression sur les parlementaires.
Sans direction digne de ce nom, le mouvement est entré en reflux, son énergie s’est dissipée. Mais il pourrait entrer en éruption à tout moment, par exemple si un drame se produit à cause de ces conservateurs qui haïssent les femmes.
L’interdiction de l’avortement et la « clause de conscience » (le fait que les médecins peuvent refuser de pratiquer l’interruption de grossesse même dans les cas prévus par la loi) ont des conséquences dramatiques. Des femmes ont perdu la vie ou se sont retrouvées en situation de handicap parce que les médecins leur ont menti sur l’état de leur grossesse pour les empêcher d’avoir une IMG. D’autres se retrouvent dans des conditions de précarité terribles suite à des grossesses imprévues et voient leurs projets de vie ruinés. « L’enfer pour les femmes » est un des slogans les plus populaires du mouvement, et on entend aussi « le PiS a du sang sur les mains ».
L’enfer pour les LGBTQI+
La Pologne, c’est l’enfer également pour les personnes LGBTQI+. A peu près un quart du territoire a été déclaré « zone libre de l’idéologie LGBT » par les élus locaux. L’homophobie est officiellement encouragée et les agressions homophobes sont courantes. Cet été, les activistes pour les droits des LGBTQI+ ont été harcelés par la police alors que l’organisation obscurantiste Ordo Iuris menait une campagne homophobe odieuse en toute impunité.
Ordo Iuris était déjà à l’origine du projet de loi interdisant l’avortement en 2016. En février 2021, ils repassent à l’attaque avec un projet appelé “Oui à la famille, non au genre!”. Il s’agit de retirer la Pologne de la convention d’Istambul, une convention du Conseil de l’Europe contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
A la place, Ordo Iuris propose un texte qui réaffirme l’interdiction du mariage de personnes de même sexe, interdit “l’intervention d’Etat excessive” dans la famille, et encourage le rôle des femmes en tant que mère au foyer. Tout cela en agitant le spectre du “genre” et en répandant des absurdités homophobes.
Leurs thèses seraient risibles si le régime polonais n’était pas sous l’influence de ce lobby, et si ce lobby n’avait pas d’énormes moyens financiers pour cracher son venin. Les féministes socialistes doivent lutter non seulement contre ces attaques, mais aussi ne laisser aucun espace à la LGBTQI+phobie dans la gauche (où la transphobie s’insinue avec l’idéologie “TERF”).
Préparons-nous pour la prochaine étape de la lutte
Même si le mouvement marque une pause pour le moment, un drame causé par la politique anti-choix, ou une énième provocation du PiS, pourrait raviver le mouvement.
A l’automne dernier, via notre campagne Rosa Polska, nous disions qu’une grève générale était possible ou nécessaire pour gagner le droit à l’avortement sur demande et gratuit. Pour construire cette grève générale, nous avons lancé un appel à former des comités de grève démocratiques qui organiseraient le mouvement par la base et lui donneraient une réelle direction.
A l’heure actuelle, l’ambiance parmi la classe ouvrière polonaise n’est plus propice à une grève générale avec le droit à l’avortement pour revendication centrale. Le moment où un mouvement recule peut être frustrant et démoralisant. Mais l’analyse de la lutte, sans cesse discutée et actualisée, permet de dépasser cet état d’esprit, et d’utiliser cette période plus calme pour préparer la prochaine montée du mouvement. Ainsi Rosa Polska organise une réunion publique le 13 mars pour inviter toutes celles et ceux qui partagent notre vision féministe socialiste à militer avec nous pour construire une aile ouvrière au mouvement pour le droit à l’avortement.
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